vendredi 24 août 2012

Voyage sur le Tiguidou


Un grand merci à Charles-Henri Pochon pour ses réflexions d’un terrien qui s’en va sur l’eau des canaux lors d’un voyage sur le Canal des Vosges ce printemps.

Quel bonheur de voyager !

Toute ma vie professionnelle fut un long voyage.

Comme forestier, j’ai parcouru des milliers d’hectares de forêts et pâturages boisés, cherché à comprendre les mystères de la vie forestière. Comprendre les arbres, les buissons, les fleurs, les oiseaux, les insectes, les animaux sauvages et… les hommes.

Voyager, c’est aussi regarder son environnement, tous les jours, avec des yeux tout neufs.

Ce que vous croyez avoir appris à la fin d’une journée, n’est qu’incertitude le lendemain, car la nature ne cesse de vous montrer mille autres facettes de son immense diversité et le doute fait vaciller vos certitudes.

Qu’importe ! Il faut voyager dans le terrain comme dans sa tête !

Vivre, c’est ce voyage si court que nous passons sur terre !

Vivre, c’est se plonger dans ce que l’on croit connaître et découvrir que ce n’est que le début d’un long chemin que des milliers de vies ne suffiraient pas pour le parcourir.

Aussi lorsque mon chemin m’a porté sur les canaux des Vosges, au gré lent de la péniche « Tiguidou », une énorme émotion s’est emparée de mon âme.

Les lisières de forêts, les haies, les berges du canal ont transformé ma vision terrienne, un peu comme si je voyais le monde à rebrousse-poil.

 

J’ai eu l’impression de découvrir  ces paysages par les yeux d’un oiseau aquatique.

Habitué à parcourir la forêt en tous sens : monter, descendre des versants abrupts, brasser la végétation pour se frayer un chemin ; ici, vous glissez lentement, presque sans bruit avec des perspectives rectilignes et des grande courbes où le paysage s’inscrit  en harmonie avec l’eau brune du canal.

 

Les chants des oiseaux, les battements d’ailes des colverts qui s’envolent juste devant la proue de la péniche.

Frênes, érables sycomores, tilleuls, chênes, aulnes noirs au pied desquels des dizaines d’espèces de buissons se penchent vers nous à les toucher du regard en vous déclinant leurs feuillages dans toutes les gammes de vert, leurs fleurs, leurs senteurs : que c’est une merveille pour les yeux et pour le cœur.

 

Lentement vous êtes imprégnés par une très grande sérénité et cette glissade sur l’onde brune où se mire tant de beauté, où se marient faune et flore. Et mollement vous devenez intimement submergés par ce monde lacustre.

La diversité des paysages se succède au gré de l’occupation de la terre par les hommes en fonction de la spécificité des sols. Forêts, pâturages, cultures, vergers, villes et villages.   

 

Toujours lentement, comme une couleuvre nageant dans l’onde, nous glissons le long des canaux. Lentement les paysages se succèdent dans une douce  transition.

Nos préoccupations antérieures se sont envolées et tout doucement, mystérieusement la vie s’est ralentie. La notion des jours succombe  à ce rythme mou et tranquille du voyage fluvial.

Le passage des écluses est là pour vous tirer de vos rêveries. Il faut être attentif et précis. Guider la péniche dans sa cage étroite tout en pierres maçonnées, ralentir et s’arrimer au bon endroit pour ne pas endommager péniche ou portes d’écluse.



Et puis après les diverses manœuvres, sous la poussée de l’eau, on émerge de la fosse. La porte amont  s’ouvre, libérant le chenal et le voyage se poursuit.

 

Combien d’hommes et de femmes ont emprunté ces voies d’eau ? Combien ont gagné leur vie par ce mode de transport de matériaux les plus divers ?

Et plus loin encore, avant l’apparition du moteur, ou l’utilisation du cheval : le temps des haleurs de péniches !

Ah ! Le hallage, ce travail arasant ! Le harnais déformant l’épaule sous l’effort. Ils chantaient pour se donner du courage. Mais ils chantaient aussi leurs peines, leurs joies ! Ils chantaient certainement enfin cette plénitude de la nature.

Je m’imagine ce lent et dur travail en longeant le chemin de hallage. 



Seuls les fleurs, le chant des oiseaux, l’envol rapide d’un couple de canards ou les grandes ondulations des ailes du héron cendré apportaient des émotions dans leur lente progression, dans la pluie ou la douceur, dans le vent ou la chaleur, le labeur toujours sur le même rythme lent des haleurs.

Et je rêve encore aujourd’hui de ce que j’ai vécu avec et sur le Tiguidou et m’imagine les temps anciens, une façon de voyager dans le temps, avec des souvenirs et des paysages gravés au fond de ma mémoire.

Merci à mes compagnons qui ont partagés ces émotions dans le secret de leur cœur ! Nous étions une si belle équipe ne transportant que du bonheur.

 



Chs.-Henri Pochon
Le Locle, le 15 août 2012

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